Prédication du 2ème dimanche de l'Avent : "Transformer le fer en soie"
"Transformer le fer en soie"
Valérie Rosoux
La semaine passée, Ariane a partagé ses réflexions de manière lumineuse. Le geste de la tresse m’a émerveillée. Aujourd’hui, je prends le relais, comme dans un quatre fois 100 mètres et je m’élance dans la course.
Je considère mon métier (la recherche) et la vie en général comme un jeu de piste.
A nous de repérer les signes et d’avancer. A cet égard, les évangiles du jour sont particulièrement éclairants. Ils démarrent par un encouragement : « Quitte ta robe de tristesse et de misère ». Phrase saisissante qui entre en résonnance avec le témoignage de Charlotte Delbo : résistante françaises pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est arrêtée en 1943 (elle a alors 30 ans) et envoyée à Auschwitz-Birkenau. Elle écrit peu après son retour : « Je suis devant la vie, comme devant une robe qu’on ne peut plus mettre ».
Il y a des matins où, sans avoir traversé l’expérience extrême de Charlotte Delbo, on se sent devant la vie comme devant une robe qu’on ne peut plus mettre.
Il y a des soirs où l’on revêt « la robe de tristesse » et de misère » qui, souvent, prend l’allure d’une armure.
A ces moments, on peut entendre différentes voix. Au moins de trois types :
Les premières sont intérieures. Elles tirent vers les mailles de fer et de désespoir. Le jeu de piste se perd.
Les deuxièmes sont extérieures. Elles ne prennent pas la mesure du naufrage et chargent de culpabilité : « Allez hop ! Arrête de te plaindre et reprends-toi ». Grand danger que ces voix qui, sous couvert de conseils, écrasent. Et assombrissent elles aussi le jeu de piste.
Une troisième voix, toute autre et pourtant si intime peut surgir :
« Je vois l’océan de tristesse et je connais ton angoisse. Je les traverse avec toi. Je mets ma main sur ton épaule et je t’enveloppe dans mon manteau de justice et mon étole de soie. Je te ramène à la joie et à la lumière. Tu peux, à présent, déposer ton armure. Tu peux, avec moi, transformer le fer en soie ».
Cette voix-là fait des miracle. Elle fait passer d’un univers à l’autre. Le premier univers est tragique. C’est celui des camps qui empêchent de vivre et d’être heureux à nouveau. C’est aussi celui de nos représentations sur un mode Racine, Sophocle, Anouilh, où chacun sait que l’histoire finira mal. C’est irréversible. Le deuxième univers est un univers d’espérance. Il n’évacue pas le mal et la souffrance, mais il permet d’entendre ces mots puissants : « Tu pleures, c’est vrai. Mais je suis avec toi. Et je resterai avec toi « pour toujours ». Je te le promets. Va et élance-toi. Même de presque rien ».
Ce passage d’un univers à l’autre est une expérience bouleversante.
Mais demeure une question : où entendre cette voix ? Ou ressentir l’affection et la tendresse évoquées par Saint Paul ?
L’expérience de Jean-Baptiste nous révèle ce lieu : dans le désert. Pas dans la course folle. La fuite en avant ne permet pas la transformation du fer en soie. Pas sous les projecteurs qui éblouissent au point d’aveugler.
Pas dans le rôle de caporal-chef qui cherche à tout contrôler. Ni dans celui de sacrifié qui s’épuise et finit par peser.
Où alors ? Dans le silence et le noir. Dans les nuits d’insomnie. Au creux même de l’angoisse, de la tristesse ou de la perte. Au cœur même des tourbillons de nos émotions. Personnellement, c’est là – dans le noir. Quand tout s’arrête et que j’ose murmurer quelques mots :
« Je tente de te parler.
Je me souviens que tu es là.
Tu tentes de me parler. Tu m’attendais. Tu étais là ».
Et revoilà la tresse de nos voix, émues et apaisées.
La tresse de nos chemins préparés l’un pour l’autre :
« Tu combles les vallées
Et abaisses les montagnes pour moi.
«Je rends droits les sentiers. j’aplanis les routes pour toi ».
Nos sollicitudes se répondent. Elles virevoltent tels des rubans colorés amusés par le vent.
Ce sont ces rubans qu’il nous faut repérer.
Pour continuer.
Éventuellement glisser. Et même retomber.
Puis respirer Se redresser.Et repartir.
Me rappelant que tu m’attends. En souriant. Le temps que je dépose l’armure, le costume de caporal, celui de sacrifié.
Ou les trois à la fois.
Et seulement alors, calmement, je t’entends me chuchoter :
« Fonce !
Ton jeu de piste – c’est là !
Détecte les cris de joie.
Ils sont là - pour toi ! ».
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